Des pistes à creuser
Des initiatives sont à amplifier telles les tables rondes préventives et les synergies entre les partenaires de l'agriculteur pour lui apporter un accompagnement au-delà du simple volet économique, tout en prêtant attention aux équipes qui le suivent.
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Ils sont quand même 10 % à vouloir jeter l'éponge en raison de soucis financiers ou par démotivation, selon notre sondage ADquation-Agrodistribution (voir ci-contre). Tendance sans doute renforcée depuis la dernière moisson. Et parmi ceux qui restent dans le navire, près d'un tiers envisage de faire évoluer leur exploitation, principalement par la diversification et/ou la vente directe. Par ailleurs, près de la majorité d'entre eux estime ne pas être bien accompagnée, selon ce même sondage (lire p. 27). Des pistes sont donc à explorer, afin de répondre aux attentes du terrain et aux besoins que la conjoncture difficile fait émerger. Avant qu'une exploitation ne soit déclarée non viable, n'existe-t-il pas d'autres voies à emprunter ? Et si cet ultimatum est incontournable, l'accompagnement de l'agriculteur touché n'est-il pas encore plus essentiel ? Si certains exploitants sont suffisamment solides pour faire face et aller de l'avant, pour d'autres, c'est plus complexe. Et les équipes sur le terrain ne sont pas toujours, voire jamais, préparées à appréhender ces contextes compliqués, comme le souligne Pierre Chavallard du négoce Maison François Cholat : « On manque de formation au sein de nos équipes sur le comment réagir à ces situations. »
De surcroît, on n'échappe pas à une certaine inertie inhérente au mode de fonctionnement du circuit administratif, ainsi que le fait remarquer Christophe Guérin, agriculteur et président d'AMR58, association de soutien aux agriculteurs en difficulté. « Nous avons sollicité la MSA pour aider des gens qui n'ont plus d'argent pour vivre, en proposant de leur donner le RSA le temps qu'ils touchent les primes. Cela fait six mois que les dossiers sont en instruction et ils vont commencer à toucher quelque chose cette semaine. Ils ont le temps de mourir tranquilles. » Des progrès sont à faire en matière de réactivité face à l'urgence.
1. Systématiser les tables rondes préventives
Le concept de table ronde préventive, comme celui développé par Freddy Bourasseau (lire p. 29 à 31), n'est-il pas à institutionnaliser ? Au CERFrance, Thierry Lemaître parle de mettre cette pratique à l'ordre du jour. Et c'est aussi un support sur lequel s'appuyer pour annoncer de façon collégiale à un exploitant que son activité n'est plus viable car « ce message ne peut pas être porté par un seul partenaire », tient à préciser Thierry Lemaître.
2. Dédramatiser les procédures collectives
Bien placé pour en parler puisqu'il est passé par ce dispositif, Christophe Guérin reconnaît qu'il s'en est sorti grâce à une procédure collective. « C'est vrai qu'une telle procédure, c'est embêtant pour les fournisseurs car la dette est étalée sur dix à quinze ans. Les gens la connaissent peu et en ont peur, mais je pense qu'elle pourrait aider beaucoup de personnes. » Mais il y a des freins à lever. Alain Del Rio, TC chez Euralis, fait d'ailleurs remarquer qu'« un plan de redressement pour un agriculteur, c'est la honte ». Alors que dans d'autres secteurs économiques, il est souvent considéré comme un moyen de sauvegarder l'entreprise.
Toutefois, cette solution n'est pas forcément la panacée pour Thierry Lemaître : « Les procédures collectives ont leurs inconvénients comme par exemple une exclusion des aides ou une renégociation des prêts pouvant entraîner des frais supplémentaires pour l'exploitant. » D'autre part, les partenaires de l'exploitation peuvent faire défaut. « Malgré l'article 40 des procédures collectives qui stipule que tous les créanciers assurent la continuité de l'exploitation, tout en étant payés en priorité par le mandataire, certains intervenants ne veulent pas suivre », précise de son côté Pascal Turquier, du dispositif Réagir en Champagne-Ardenne.
3. Privilégier le partenariat entre organismes
Trouver des solutions est un vrai casse-tête. Lorsque Christophe Guérin a interpellé son technico-commercial sur de nouvelles productions potentielles, il n'a eu aucune proposition en retour. Il estime primordial que tous les intervenants réfléchissent « ensemble, sinon rien ne se mettra en place ». Un travail en partenariat qui doit permettre avant tout « d'anticiper et d'éviter toute dégradation d'une situation », selon Thierry Lemaître.
4. Former les gens de terrain
Le volet formation est évoqué sous plusieurs aspects. Il recouvre ainsi la nécessité de guider les agriculteurs dans la gestion de leur exploitation. Alain Del Rio remet l'accent sur la notion d'approche globale qui oblige « à se détacher quelque peu du business. Mais qui permet d'aller vers une forme de partenariat avec l'agriculteur ». Toutefois, la seule compétence technique ne suffit pas. « Nous avons besoin aussi d'avoir une approche psychologique, financière de l'exploitant et de son exploitation et du temps d'écoute », ajoute le TC d'Euralis.
Des situations d'urgence comme à ce jour pointent du doigt justement les lacunes et les nouveaux besoins à pourvoir. Cette optique a mené Pascal Turquier à mettre sur pied une formation gratuite sur l'écoute et la communication positive en période de difficulté qui « intéresse également nos secrétaires qui reçoivent des appels d'exploitants en pleurs ». Cette formation va être ouverte à toutes les OPA, les coopératives et négoces et à toute personne en contact avec l'agriculteur. La MSA et son association de médecins et infirmiers psychologues vont assurer les interventions. Une formation qui va en fait préparer des sentinelles, intitulé donné par la MSA aux lanceurs d'alerte.
5. Former les agriculteurs à l'anticipation
La formation des agriculteurs fait aussi partie des pistes de réflexion. Pour Pierre Chavallard, elle est à accentuer en matière de gestion. « Sur nos secteurs, un agriculteur capable de sortir un prix de revient de son blé, c'est rare », confie-t-il. Tout comme il existe un besoin essentiel de les préparer au contexte de conjonctures très volatiles. « Nous n'avons pas anticipé les mesures nécessaires dans cet objectif », avance Thierry Lemaître. Cette anticipation ne se cultive-t-elle pas également dans la recherche d'une plus grande autonomie ? Une stratégie citée par Pascal Turquier qui se faisait « taper sur les doigts il y a dix ans quand je parlais des modèles d'exploitation basés sur l'herbe, car soi-disant ils ne faisaient pas vivre la filière ».
6. Accompagner au changement
Des prises de conscience se font sur la nécessité de se donner les moyens d'amener les agriculteurs vers le changement. C'est le choix fait par le négoce Bellanné ainsi que l'explique Freddy Bourasseau : « Nous avons commencé une formation dans l'entreprise sur la conduite du changement qui montre que la notion de proximité est essentielle. Lorsque tout va mal, les agriculteurs veulent revenir aux fondamentaux. Et ils vont le faire avec le premier qui va leur tendre la main. » Toutefois, pour guider les agriculteurs vers de nouvelles solutions, il s'agit « d'avoir les débouchés et d'apprendre à travailler en partenariat. Nous avons à construire ou reconstruire ce partenariat car au fil des années, nous avons perdu peu à peu le lien en fait », ajoute le technicien.
Accompagner les agriculteurs au changement, c'est également arriver à leur faire entendre, lorsque la situation l'impose, qu'ils sont à bout de souffle et qu'ils ont à envisager une autre activité. Si Pascal Turquier a connu le cas d'un exploitant qui a fini par craquer et se faire interner, car il n'a jamais voulu accepter la cessation de son activité, il a en revanche réussi à en mener d'autres vers un nouvel avenir professionnel. « J'ai ainsi accompagné un éleveur laitier de 40 ans vers sa reconversion en tant que chef de chantier dans le BTP. Et depuis, il revit tout en gagnant mieux sa vie. Bien souvent, l'ouverture d'esprit et aussi le niveau de formation de l'exploitant vont faire que la situation avance ou bloque. »
7. Positiver
L'image que peut renvoyer la société à l'agriculteur participe à sa démotivation et son découragement. Certes, le déficit de communication positive du monde agricole est connu. Mais comme le souligne avec engouement Pascal Turquier : « Nous avons à positiver pour dire que nos agriculteurs sont bons et qu'ils doivent s'en convaincre. Bien sûr que certains sont en difficulté, mais d'autres gagnent bien leur vie, même en lait. En outre, quand j'ai des agriculteurs en reconversion professionnelle, je n'ai aucun mal à les conduire vers un autre projet, car ce sont des hommes de valeur. Mais ils ne le reconnaissent pas eux-mêmes. »
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